5 Janvier 2014
VERS L'INTENSIFICATION DE LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION AU SÉNÉGAL: LA NOMINATION DES DERNIERS MEMBRES DE L'OFFICE NATIONAL DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE ET LA CORRUPTION
(OFNAC)
Pour Pierre Péan, «... la corruption est devenue l'un des Facteurs essentiels du sous-développement. Traitée généralement à la rubrique des faits divers, Elle devrait, dans certains cas, passer à celle des crimes contre l'Humanité »( L'argent noir: corruption et sous-Développement ., Paris, Fayard, 1988, p 13). La corruption est un phénomène très ancien qui a des proportions inquiétantes en ces temps où l'argent devient une référence incontournable dans un système mondialisé qui augmente les tentations et favorise la libre concurrence sans tenir compte de certains excès. La corruption est devenue un phénomène plus complexe auquel on associe trois termes : intensité, sophistication et globalisation ( Y. Mény et L. de Souza, "Les transformations contemporaines de la corruption", in L'argent dans le Monde 1999, p. 137).
S'il a été jugé nécessaire de donner un contenu juridique à un tel phénomène, c'est en raison de l'insuffisance des barrières morales. La ratification par le Sénégal, le 16 novembre 2005 de la Convention des Nations Unies contre la corruption du 31 octobre 2003, oblige chaque Etat Partie à mettre en place conformément à son système juridique des organes chargés de prévenir la corruption. Les organes doivent jouir de l'indépendance nécessaire pour leur permettre d'exercer efficacement leurs fonctions à l'abri de toute influence indue (art. 6). Il est nécessaire de se référer à la Convention civile la corruption du Conseil de l'Europe du 4 novembre 1999 qui Définit la corruption de la manière suivante: «le fait de solliciter, d'offrir, de donner ou d'accepteur directement ou indirectement, une commission illicite, ou un autre avantage indu ou la promesse d'un tel avantage indu qui affecte l'exercice normal d'une fonction ou la comportement requis du bénéficiaire de de la commission Illicite, ou de l'avantage indu ou de la promesse d'un tel avantage indu».
Au Sénégal, depuis l'élection du Président de la République, Macky Sall en 2012, la question de la lutte contre la corruption constitue l'un des axes essentiels de la nouvelle Gouvernance. Dans ce cadre, la Cour de Répression de l'Enrichissement Illicite (CREI) créée depuis le 10 juillet 1981 et qui était en hibernation e été réactivée. L’inspection générale d’Etat (IGE) vise la promotion d’une gouvernance de qualité à travers différents axes d’intervention dont « le renforcement de la lutte contre la corruption ainsi que la transparence dans les procédures » (Voir IGE, Faits saillants du rapport public sur l’état de la gouvernance et de la reddition des comptes au Sénégal 2012, mars 2013, p. 6). Un Ministère chargé de la bonne gouvernance a aussi été créé. Dans de telles conditions était-il nécessaire de prévoir une instance supplémentaire ?
C'est dans le même sillage qu'avec la loi no 2012-30 Du 28 décembre 2012, le paysage institutionnel s'est enrichi avec la mise en place d'une nouvelle autorité Administrative indpendante dénommée Office national de Lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC). Une telle structure devrait être opérationnelle durant l'année 2014 suite à la nomination de son président, le 25 juillet 2013, de la nomination de vice-Président et des dix autres membres récemment (Soleil du 3 janvier 2014).
L'OFNAC se substitue ainsi à la Commission Nationale de Lutte contre la non-transparence, la corruption et la concussion (CNLCC) créée par la loi no 2003-35 du 24 novembre 2003 modifiée. Les Pouvoirs publics n'ont pas voulu laisser le contrôle d'un tel organe entre les mains de l'autorité réglementaire, contrairement à ce qui est prévu dans d'autres Etats africains. A titre d'exemple, au Cameroun, la Commission nationale de Lutte Anti-corruption a été créée par le décret no 2006/088 Du 11 mars 2006 (voir site Internet: http://www.conac-cameroun.net/ ). Au Bénin, les pouvoirs publics ont été plus ambitieux en adoptant à l'Assemblée nationale le 28 août 2011, la loi sur la corruption intégrant l'organisme chargé national de lutter contre la corruption, même s'il faut regretter que l'organisme soit sous la tutelle du Président de la République.
La loi portant création de l’OFNAC comporte 22 articles regroupés en 6 titres :
- Un titre premier (art. 1-3) consacré aux dispositions générales. L’institution est dans ce cadre rattachée à la Présidence de la République (al. 2 de l’art. 1). Il est toutefois regrettable qu’un alinéa ne soit pas prévu dans cette disposition concernant le siège de l’OFNAC.
L’article 2 de la loi détermine la mission globale de l’OFNAC. A savoir « la prévention et la lutte contre la fraude, la corruption, les pratiques assimilées et les infractions connexes, en vue de promouvoir l’intégrité et la probité dans la gestion des affaires publiques ».
Une telle disposition est à saluer, car elle prend en compte non seulement la corruption, mais d’autres actes de fraude et les pratiques assimilées. La Commission pourra se référer aux instruments internationaux auxquels le Sénégal a souscrit. C’est le cas de La convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption adoptée à Maputo le 11 juillet 2003 qui s’applique aux actes de corruption et infractions assimilées. La Convention présente une conception large de la corruption en citant en son article 4, alinéa premier une dizaine d’infractions, parmi lesquelles, on retrouve l’enrichissement illicite, la sollicitation ou l'acceptation de tout bien ou de tout autre avantage en échange de l’accomplissement ou de l’omission d’un acte dans l’exercice de ses fonctions. D’ailleurs, la liste des actes assimilés à la corruption et présentée dans la Convention n’est pas exhaustive.
En raison des risques liés à la corruption dans les contrats publics, l’article 2 aurait pu mettre l’accent sur le rôle de l’OFNAC pour permettre de favoriser la confiance des citoyens dans ces transactions. On sait que l’un des secteurs où la corruption est parfois la plus visible est celui des marchés publics ou encore celui des contrats de partenariat public privé (PPP).
Par ailleurs, l’article 3 cite les missions de l’OFNAC et le législateur aurait pu aussi noter certaines qui sont primordiales dans le cadre de lutte contre la corruption. C’est notamment son rôle en matière d’éducation des populations par rapport à de bonnes pratiques. Une telle mission aurait pu être mise en exergue. La même disposition permet à l’OFNAC de recevoir les réclamations des personnes physiques ou morales se rapportant à des faits de corruption. Il n’était pas inutile de préciser que l’organisme établit une procédure facilitant la dénonciation d’actes de corruption et qu’elle est tenue dans ce cadre de protéger ses sources d’information.
- Le chapitre II (art. 4 à 18) traite de l’organisation et du fonctionnement. L’OFNAC est composé de 12 membres qui sont tous nommés de manière discrétionnaire par le Président de la République. Pour une structure dont l’indépendance est à promouvoir, il était possible d’envisager la mise en place d’un Comité de sélection chargé de proposer au Président de la République une liste de 3 personnes au moins pour la nomination du Président de l’OFNAC en prévoyant aussi le nombre de membres par corps. Le secteur privé aurait pu être avoir une plus grande représentativité à l’OFNAC. Par ailleurs, on aurait pu insister sur le fait que les membres de l’OFNAC doivent être de bonne moralité et qu’ils ne doivent avoir fait l’objet d’aucune condamnation.
L’article 5 in fine indique que seul le président exerce sa fonction à titre permanent. Ce qui pose le problème de la permanence de la structure, vu que les autres membres n’exercent leurs missions qu’à titre accessoire. La commission des données à caractère personnel créée par la loi no 2008-12 du 25 janvier 2008 ayant aussi le même problème.
L’article 6 précise les cas dans lesquels, il est possible de mettre fin aux fonctions des membres de l’OFNAC. Mais, une disposition aurait pu aussi être consacrée au cas spécifique de l’expiration du mandat du président, en ajoutant qu’il reste en fonction jusqu’à son remplacement. Cela permet de faire face à la vacance et au Président de la République de ne pas intervenir pour proroger son mandat.
La prestation de serment devant la Cour d’Appel est une formalité obligatoire pour l’exercice d’une telle activité. Mais, la formule utilisée est très générique, car elle peut s’appliquer à toute situation. C’est pour cette raison qu’elle aurait pu être plus étoffée et tenir compte du rôle des membres de l’OFNAC dans la lutte contre la corruption.
Les articles 12 et suivants du chapitre déterminent clairement le champ d’intervention de l’institution. Un pouvoir d’autosaisine de l’institution est prévu, indépendamment de la saisine par des tiers (art. 12). Si l’OFNAC estime qu’à l’issue de ses investigations, des cas de corruption sont présumés, elle transmet au procureur de la République un rapport accompagné des pièces du dossier (art. 14). Sa mission s’arrêtant à ce niveau et le juge prend le relais. La corruption faisant intervenir le juge pénal à titre principal, le juge des comptes et même le juge de l’excès de pouvoir par rapport aux sanctions que les autorités administratives peuvent être amenées à prendre. A cet effet, l’OFNAC peut proposer à l’autorité compétente d’engager une procédure disciplinaire, contre tout fonctionnaire ou agent public. Si aucune suite n’est donnée à cette proposition, l’OFNAC informe le Président de la République (art. 15).
L’OFNAC établit aussi chaque année un rapport d’activités remis au Président de la République. Ledit rapport est rendu public par tous moyens appropriés (art. 17). Le rapport aurait pu être aussi présenté à la représentation nationale et la loi aurait pu aussi exiger qu’il soit mis en ligne sur le site internet de l’OFNAC. Ce qui ne devrait pas aussi dispenser l’OFNAC de publier des rapports spécifiques sur toute question relevant de ses attributions, s’il le juge nécessaire.
- La chapitre III (art.19-20) porte sur les ressources financières de l’OFNAC qui relèvent essentiellement de la dotation budgétaire de l’Etat.
- Le chapitre IV (art. 21-22) porte sur les dispositions transitoires et finales. Ainsi, toutes les affaires pendantes devant la CNLCC sont transférées à l’OFNAC et toutes les dispositions contraires à la loi sur l’OFNAC sont abrogées et c’est peut être à ce niveau qu’aurait du se situer l’article 18 concernant l’édiction de textes particuliers fixant les modalités d’application de la loi.
Enfin, il est à noter que l’OFNAC est aussi chargé de recueillir la déclaration de patrimoine de différentes autorités. L’exclusion du Président de la République du champ d’application du projet de loi sur la déclaration du patrimoine se justifie par le fait que conformément à l’article 37 al. 3 de la Constitution : « Le Président de la République nouvellement élu fait une déclaration écrite de patrimoine déposée au Conseil constitutionnel qui la rend publique ».
En tout cas, il faut souhaiter bonne chance à l’OFNAC et succès dans la lutte contre l’impunité.
Dr Moustapha Ngaido
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques (FSJP)
Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar
5 janvier 2014
A noter que l'intégralité de la loi sera mise en ligne ultérieurement à défaut de renvoyer à un autre site Internet.